Je suis la jeunesse française et Tahrir est votre nom.
En mes yeux un grain de votre sable soulevé ; Pourtant, mes yeux occidents ne vous voient pas. Il y a ce fleuve près de moi qui est froid en hiver Il y a ces corps au-delà de la mer éloignée qui sont froids et qui ont faim. Je suis à la pointe héxagone d'un continent insulaire. Aux confins de sa frontière connue, je meurs d'ennui. J'entends vos cris et vos colères et je ne vois rien venir, ici c'est l'hiver. L'hiver des siècles.
Il y a cette longue période aride où ne s'entendent plus les poètes où s'ennuient les philosophes où les mathématiciens ont fui
Tout est trop tôt, trop tard, Rien ici n'arrive à l'heure. Les fers ne sont ni autour de nous ni au-dessus de nous : ils sont sur le sol que l'on foule, dans le sang dans nos yeux dans notre épiderme. Quelque chose de notre âme s'est dépeuplé flétri à jamais par le vertige du temps. Je suis cette jeunesse déjà vieille déjà trop vieille déjà si vieille, ancillaire. Le nouveau-né de notre terre, à peine les yeux vers le soleil, est déjà millénaire, sur son visage les frontières sculptées de son pays : ces grandes rides creusées que les étoiles même perçoivent de l'univers. Je suis la jeunesse française.
Au royaume des sourds, notre roi est aveugle, mais, moi,poésie solitaire, j'entends le vent levé par un bras défiant les rois. Nous entendons comme pour la première fois des lettres de votre licencieux alphabet assourdies par nos lèvres émaciées. Mais nous entendons encore des cris : Vos cris. Comme des oiseaux de présages Qui au-delà de la muraille du silence, Marge interdite, pénètrent l'espace de cette page.
De nos places désertes, de nos villes endormies, de notre orgueil recroquevillé, nous parviennent ces cris de la mer enragée. Europé, en son sommeil, de quoi se souvient-elle ? Ces cris lui reviennent des larges terres. Elle frissonne, se remémore ses cris lors de son enlèvement. Des cris venus du large en colère Nous foulons aujourd'hui une terre où s'est déposé son nom ; Terre asséchée où l'on ne s'abreuve plus que de nous-mêmes. Notre sol possède en lui ces cris sous sa poussière et ses cris se mêlent aux vôtres, lancinants, interminables. Nous sommes la jeunesse d'Europe et nous entendons vos cris. Les cris de la méditerranée, la fureur de la mer, la hargne de vos armes, de vos plages de vos déserts de vos larmes de vos corps,
de vos brûlures.
Humez l'odeur rouge du jasmin qui enveloppe la mer et la terre ! Humez la fragrance de la liberté sur vos terres prodigues !
Mais ici, c'est l'hiver français l'hiver séculaire, d'hiver en hiver, l'hiver pour le siècle des siècles.
Jeunesse française, Un grain seul peut soulever notre désert.
Votre révolte fait un printemps dans notre âme. Nous sommes la jeunesse d'Europe et Tahrir est votre nom.
Le zôgraphe
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