Rouge de Pascal Quignard

Louise Bourgeois, La destruction du père, 1974.

"Chaque groupe humain ne possède pas nécessairement une littérature. Cette dernière ne se déduit pas nécessairement de la culture collective. Ni elle n'est nécessairement astreinte à en accroître l'ascendant. Ni elle n'est nécessairement conduite à en briser le modèle. Les tyrannies ne suscitent pas des individualités rebelles comme leurs corollaires.

  Or, le feu qui brûle, depuis la terre, au centre de la terre, s'oppose sous forme de deux pôles.

  Il arrive que des individus s'insurgent et qu'ils montrent d'autant plus d'énergie à l'indocilité que le pouvoir exerce sa pression sur la masse des hommes qu'il muselle en s'affirmant avec plus de détermination, en divisant de plus de censures, en colorant de plus de sang.

  Qui est aussi la couleur de ce fer qui bout au centre du monde.

  L'indépendance d'esprit, sur cinquante mille ans de guerre perpétuelle, est une grâce sans cause.

*

  Je prête serment : qu'un individu se prenne de passion pour l'absence de lien est un courage que rien ne couronne. Un vrai individu n'est pas seulement rare : c'est déjà une guerre civile à lui tout seul. Puisque ce qui sacre est toujours un pouvoir. Puisque toute exception le conteste.

  Ces rebelles sont un peu des fruits du temps qui les enrage.

  Mais des fruit rebelles sont des fruits sans racine, sans terreau, sans règle, sans filiation, sans reconnaissance et d'une postérité complètement aléatoire.

*

  La vie d'un homme peut toujours être autre, et meilleure, et plus intense, et pire, et plus brève."

Pascal Quignard, Sur le jadis, chap. X, éd Grasset

Ce qui est terrible :

- Les tyrannies ne suscitent pas des individualités rebelles comme leurs corollaires.

Ce qui est le plus poignant :

- Un vrai individu n'est pas seulement rare : c'est aussi une guerre civile à lui tout seul.